Faisons une petite pause.
L'architecture, le paysage, la ville, font partie de la culture populaire plus qu'on ne le pense; et ces domaines ne sont jamais aussi pertinents que quand ils sont introduits et glorifiés par d'autres médias.
Ainsi, les bâtiments, les paysages urbains et ruraux sont un thème courant de pochettes d'album. Si dans le hip-hop on privilégiera souvent ces skylines et les univers hyper-urbains, d'autres genres plus flottants ou arty choisiront plutôt un bâtiment singulier, d'ordre brutaliste ou monumental. Ce qui est intéressant, c'est qu'il y a souvent une histoire à raconter...
Unknown Mortal Orchestra, Unknown Mortal Orchestra, 2012
Monument to the partisans, Petrova Gora, 1979, par Vojin Bakić & Berislav Šerbetić
Bien que l'album ait déjà 5 ans, il fait toujours partie des pochettes les plus cool qu'on puisse faire dans la référence archi: monument brutaliste soviétique, friche urbex...
Ce monument est recensé sur un très beau site recensant ces monuments yougoslaves (spomeniks) qui ont été érigées sur les lieux mêmes de combats de la seconde guerre mondiale. Depuis la dislocation de la Yougoslavie, ces magnifiques architectures sont abandonnées.
Animals, Pink Floyd, 1977
La Battersea Power Station, de John Mowlam & Co, se situe dans le centre de Londres. C'est une centrale électrique à charbon construite dans les années 30, arrêtée en 1983. Cette usine art déco, parmi les plus grandes usines du monde en briques, a été classée et est en cours de rénovation par un consortium malaisien. Le bâtiment deviendra mixte, avec boutiques, bureaux et appartement de type penthouse aux derniers étages, dans un nouveau quartier dont je vous laisse admirer la vue ici.
Un urbanisme d'étrange cité balnéaire super dense avec de l'authentique Gehry dedans. On se demanderait presque ce que fait la centrale au milieu.
Les deux best of des Beatles, 1962-1966 et 1967-1970
La photographie de 1962-1966 est la 3e d'une série de 1963, dont les premières ont servi pour leur premier album Please Please Me, et le maxi The Beatles (No. 1). La photo de 1967-1970 a été prise en 1969 sur le modèle des précédentes. On est dans les bureaux d'EMI. Le temps qui passe, le bâtiment qui reste, insensible aux modes capillaires et vestimentaires. On notera quand même que le plafond du dernier étage semble avoir été repeint et flanqué d'un luminaire.
Harbour Boat Trips, Trentemøller (compilation), 2009
Monsieur Trentemøller, mélancolique, marche dans le port rouillé de Copenhague. Les ports industriels, territoires d'imaginaires et de fantasmes, représentent aujourd'hui surtout un très grand potentiel foncier, à proximité des centres urbains. Nombre de grandes villes balnéaires et fluviales connaissent aujourd'hui des reconversions de leurs ports. Ceci pourrait en être la bande son. Cette compilation devait être déclinée en série de villes portuaires; on est malheureusement restés au premier tome.
En France on pourra citer comme rénovations urbaines récentes ou en cours, Marseille (Euroméditerranée), Lyon (Confluence), Strasbourg (Deux Rives), Nantes (Ile de Nantes). Le défi la plupart du temps est d'éviter le pastiche et la muséification, et de garder des activités portuaires, car elles sont connectées au monde, et par ailleurs on ne sait pas de quoi la mobilité sera faite demain. Sans parler des nouveaux potentiels de production d'énergie ou de nourriture.
10 000 Hz Legend, AIR, 2001
Ceci est une maison d'Ora Ito sur Monument Valley. Tout ça pour rappeler le peu de considérations que le monsieur a des architectes.
Il aurait pu au moins les questionner sur la faisabilité du porte-à faux.
Par ailleurs il est intéressant de constater que les mondes du design et de la mode, qui empruntent tant à l'architecture, se détachent pourtant de l'architecture contemporaine, préférant l'architecture moderne et l'architecture internationale. Une époque où architecture rimait encore avec luxe.
Zonoscope, Cut/Copy, 2011
Empire State Building par Shreve, Lamb and Harmon, et Chrysler Building par William Van Allen
Illustration: Toshi Wa Sawayakana Asa Wo Mukaeru de Tsunehisa Kimura
New york délire et c'est joli. New York est peut-être la ville la plus impressionnante dans le fait qu'elle a à la fois un fort patrimoine architectural et une vitalité urbanistique considérable. Evidemment ce collage rappelle ceux de Rem Koolhaas et Madelon Vriesendrop dans un des ouvrages fondateurs de l'imaginaire architectural actuel, optimiste, qui pense entre autres que l'architecture génère de la culture - on se rassurera par d'autres ouvrages beaucoup plus déprimants de Koolhaas.
Computers and Blues, The Streets, 2011
Norfolk Terrace Halls, University of East Anglia, Denys Lasdun
Denys Lasdun est un célèbre architecte britannique, connu pour ses bâtiment brutalistes. La résidence étudiante, ziggourat de béton, impressionne par la largeur de ses baies. Le bâtiments aux baies généreuses vieillissent plutôt bien (d'un point de vue esthétique s'entend). Un article ici
To the 5 Boroughs, Beastie Boys, 2004
Illustration: Downtown Manhattan par Matteo Pericoli
Les "5 Boroughs" sont les 5 arrondissements de New York City, et un des surnoms de la ville. Surnom utilisé pour placer ces cinq circonscriptions sur un pied d'égalité, sans mettre en avant Manhattan. Les cinq arrondissements: Manhattan, Brooklyn, Queens, Bronx, et Staten Island.
L'album, sorti après les attentats du 11 septembre 2001, en représente les Twin Towers, et est une déclaration d'amour à la ville.
Le dessinateur s'appelle Matteo Pericoli et dessine beaucoup de villes. A la main! Ce genre s'est beaucoup renouvelé dans la dernière décennie, et présente l'avantage, dans son aspect descriptif et en même temps intentionnel, d'être pertinent à la fois pour décrire une ville existante et pour expliciter un projet d'architecture ou d'urbanisme. Parmi des dessinateurs qui ont collaboré avec des architectes, on pourra citer Martin Etienne ou Mehdi Zannad (bon en fait ils sont aussi architectes).
Un article inspiré de celui d'architizer, mais en mieux.
Le blanc revient doucement dans le paysage de l'architecture.
Il avait commencé avec le modernisme, qui en parlait de façon autant graphique qu'architecturale (Le Corbusier, le Bauhaus). A l'époque des premiers grands voiles de béton, la peinture avait pris une grande importance. Le bâtiment était le support, le blanc étant le fond de toile.
Puis après une parenthèse postmodernisme haute en couleurs, il revenu doucement dans les années 2000, avec les architectes méditerranéeens (Siza, Moura, CAB, etc), pour qui le confort thermique d'été est culturel, et ensuite et surtout avec les Japonais: Ando, Ito, Sanaa, Bow wow, et leurs maisons de poupées immaculées.
L'architecte a toujours eu quelques hésitations avec les couleurs. Ainsi la plupart du temps, il privilégiera le matériau à la couleur. Dans cette époque post-postmoderne, on ne peut plus mentir; ni se tromper de couleur...
Donc si couleur doit être ajoutée, ce serait ainsi le blanc, la moins pastiche, la plus neutre. Peut-être aussi la plus bourgeoise conservatrice, mais aussi celle qui ne bousculera pas la continuité chromatique dans la ville historique.
On tolérera bien sûr ses nuances tirant légèrement vers le gris ou le beige: blanc perlé, crème.. La base étant évidemment le blanc pur, RAL 9010, appréciée par exemple des japonais qui ne recherchent pas une couleur "naturelle", comme la pierre ou la terre.
Le numérique et l'esthétique mainstream exercent aussi leur soft power. Le (super)flat design, google, le revival moderne dans la mode, la Suisse, Illustrator, les premiers diagrammes de BIG, tout a conduit les architectes, qui s'habillent bien sûr en noir, à préférer le blanc.
Même Autocad et son fond noir laisse la place à Archicad et Revit avec leurs fonds blancs (et leur lumière bleue).
Bref, en architecture, le blanc, ça va avec tout. Mais qu'est-ce que c'est salissant..
Un article pour aller un peu plus loin: Les couleurs montrent la faiblesse de l'habitat social, chez Slate
Photo: Facility of kanagawa institute of technology par junya ishigami - Photo CC Naoya Fujii
Les architectes sont un ordre; cela se ressent dans le rapport du public à la profession: en tant qu'architecte, on représente tous les architectes, les bons et les moins bons; on se retrouve aussi parfois, malgré soi, le dépositaire de l'architecture des 50 dernières années.
Le sujet de la densité, du (mauvais) béton brut et des barres de logements façon chemin de grue ont été maintes fois cités; mais il y a déjà beaucoup à dire des détails et des finitions de projets récents qui vieillissent mal. Petit florilège du perfectible en façade:
Les façades en bois
Le bâtiment en bois s'inscrit naturellement dans le nouveau paradigme du bâtiment "durable". Et rares sont les bâtiments bois qui n'ont pas de façade bois! Et c'est là que les problèmes arrivent:
Heureusement, le risque de se voir poser un bois non imputrescible n'existe plus. Mais reste un problème d'ordre esthétique. L'aspect d'une façade bois varie beaucoup la première année, avec la pluie et le soleil. Des zones vont fortement s'éclaircir, d'autres vont noircir, tandis que les moins exposées aux éléments naturels apparaîtront comme au premier jour.
Le vieillissement différentiel, rarement anticipé, donne à beaucoup de façades, au bout de quelques années, un aspect négligé. Pourtant hormis les régions montagneuses, qui rénovent naturellement au vernis à la lasure, les façades ne font pas l'objet d'un entretien particulier.
C'est à l'architecte de contrarier ces transformations:
. Soit en passivant le bois dès le début: peinture (dommage), saturateur, pigmentation en autoclave, ou Shou Sougi Ban, la technique japonaise du bois brûlé qui tâtonne en France..
. Soit en canalisant ces transformations, faisant un bâtiment fait pour vieillir harmonieusement, avec des façades et des surfaces différenciées, et un vieillissement homogène sur une même surface, par exemple en ne recouvrant pas le bardage de bavettes ou de couvertines. Une visite du Vorarlberg sera riche de conseils.
. Soit enfin en offrant une méthodologie précise aux acquéreurs sur l'entretien et le ravalement des façades bois. Mais bon. Cette ligne contredit les autres: il faut anticiper le vieillissement du bois!
Les gardes-corps
Le garde-corps en façade, héritier de la grande époque de la ferronnerie d'art, est un sujet de discorde.
L'architecte, lui, aime la transparence, les gardes-corps simplement barreaudés, qui laissent passer la lumière, ventilent; la façade qui est interface plutôt que limite.
L'habitant, lui, n'aime pas le vis-à-vis: 20 mètres, c'est souvent déjà trop près!
Le passant, usager de la rue, se range du côté de l'architecte: il n'aime pas voir l'accumulation progressive des objets inesthétiques sur les balcons au dessus de lui.
L'habitant vient de trouver la solution! Ça s'appelle la canisse. En roseaux ou en bambous, elle lui paraît très esthétique et lui rappelle ses dernières vacances à Biscarosse.
Le passant est content de ne plus voir le débarras de l'habitant mais ne sait pas si c'est mieux: la façade commence à ressembler à du bricolage. L'architecte est triste et se sent incompris. Fin de l'histoire.
Et pourtant la transparence est subjective, on peut avoir à la fois une intimité ressentie et une transparence ressentie suffisantes.
Verre opalin, dépoli, sablé; tôle généreusement perforée, moucharabieh; métal étiré; sont des solutions; la partie basse du garde-corps peut éventuellement être pleine (attention à l'appui précaire).
Interdire les canisses dans le règlement de copropriété, qui de toute façon seront inutiles car les gardes-corps feront le job.
Fausse solution: les gardes-corps pleins, sauf en dessous d'une certaine latitude. A la rigueur pour une cohérence architecturale, mais on perd trop de lumière naturelle...
Les stores sur câble
Les stores verticaux sur câble c'est joli mais ils doivent être tendus très fréquemment, surtout après de forts coups de vent. Autant dire que même dans un ERP bien entretenu ça finit rapidement par être hors service.
De manière générale, tous les équipements fragiles, demandant un entretien particulier, sont à estimer en fonction de leur utilité ressentie par l'utilisateur; un système traitement d'air ou un réseau informatique seront toujours privilégiés à un système extérieur asservi de stores, qui pourtant assurent de manière très efficace la régulation passive de la température.
On pensera aussi aux moucharabiehs diaphragmes de Jean Nouvel et Architecture Studio de l'Insitut du Monde Arabe, qui en fait fonctionnent, mais pas comme espéré.
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